Par Renaud Goyer
Lors de l’élection présidentielle qui a eu lieu au printemps dernier, les Péruviens ont choisi le candidat de la gauche radicale Pedro Castillo. Le vote était si serré que le dépouillement des bulletins a duré plusieurs semaines avant que l’on puisse confirmer sa victoire contre la candidate de la droite populiste Keiko Fujimori.
Pedro Castillo n’a pas le profil habituel des présidents du Pérou. Originaire d'un village de Chota, une province au nord du pays, il ne fait pas partie des réseaux politiques de la capitale Lima. Preuve de son indépendance politique, il s’est présenté au sein du parti de gauche Pérou Libre mais sans en être membre et en répudiant sa dimension marxiste.
Au-delà de son affiliation politique, son profil se démarque également par son parcours. Enseignant et provenant d’une famille paysanne pauvre, il s’est fait connaître en 2017 lors de la grève nationale des enseignants, dont il fut le leader pendant près de trois mois. Cette mobilisation avait comme revendication centrale un investissement massif en éducation et une augmentation des salaires des enseignants.
L’accession au pouvoir de Castillo ressemble grandement à celle de Evo Morales dans la Bolivie voisine. Considéré comme un « outsider » dont les appuis politiques proviennent des paysans et des Autochtones, il s'était également fait connaître à travers l’action syndicale. De plus, les réformes politiques proposées par le premier sont également similaires à celles du deuxième : nationalisation de certains services et matières premières, investissement massif en éducation, développement de services publics et réforme agraire.
Légende : De nombreux défis attendent le nouveau président péruvien Pedro Castillo, candidat de la gauche radicale qui incarne néanmoins des idées conservatrices sur le plan sociétal.
Crédit : Presidencia Peru – Flickr.com
Mais la proximité s’arrête ici. Au plan des valeurs morales, Castillo se situe davantage du côté du conservatisme social, ce qui a d’ailleurs donné des maux de têtes à la gauche péruvienne qui le soutenait pendant l’élection. Voyant que ce conservatisme pouvait mettre en péril la solidarité avec les pays voisins dirigés par des présidents de gauche, ses proches lui ont conseillé de s’entourer, au sein du gouvernement, de femmes et d’hommes politiques défendant des positions plus progressistes sur ces plans. C’est ce qui explique la nomination de la militante féministe Anahí Durand au poste de ministre de la Femme et des Populations vulnérables.
Toutefois, cette volonté d’équilibrer son gouvernement doit également tenir compte de ses adversaires politiques. Ces derniers ont amorcé une forte campagne de décrédibilisation visant à la fois le processus électoral et son entourage politique, laissant même entendre que les militaires pourraient intervenir. Cette campagne trouve un écho dans la population, notamment parce que plusieurs des ministres, y compris le président du Conseil des ministres, ont participé à différentes guérillas d’extrême-gauche dans le passé ou ont refusé de condamner le terrorisme.
Face à ces problèmes, la tâche du président est énorme. En outre, l’espoir d’un renouvellement du paysage politique du Pérou, provenant notamment des communautés Quechua longtemps exclues du pouvoir politique péruvien, se butte à la réalité de l’exercice du pouvoir.